Il nous semble que le milieu vétérinaire est au beau milieu d’une remise en question, tant par sa clientèle que par ses professionnels. La publication ( puis la republication et même la re-republication ) d’articles jugés désobligeants envers le milieu vétérinaire consterne. Les propos échangés sur les médias sociaux font foi des grands bouleversements qui secouent les membres des équipes vétérinaires, tous domaines de pratique confondus. C’est avec ceci en arrière-plan que nous vous présentons une première série d’articles sur le thème de l’identité professionnelle des membres des équipes vétérinaires. ( En primeur : Nous partagerons bientôt avec vous le résultat de notre premier projet collectif. Cela promet d’être bien touchant… mais chuuut ! Nous n’avons rien dit.)
Une identité professionnelle en bonne santé se développe et grandit
Insatisfaction, incompréhension et paroles blessantes, les interactions entre les membres des équipes vétérinaires et leur clientèle ressemblent parfois à des dialogues de sourds. Les attentes et les besoins des uns se heurtent aux attentes et aux besoins des autres. Se pourrait-il qu’il y ait, derrière les articles critiquant les pratiques du milieu et les échanges acrimonieux sur les réseaux sociaux, une problématique d’identité professionnelle ?
L’identité professionnelle a trois parents
L’identité professionnelle[1] est une construction complexe et possède ( au moins ) trois parents. Elle se construit à partir de nos caractéristiques personnelles, mais aussi des interactions avec notre environnement social ( les personnes qui nous entourent ). C’est que la société exerce une influence significative sur la manière dont nous nous identifions professionnellement : « Tu feras vétérinaire plus tard ! », « Telles professions sont plus prestigieuses », etc. Les normes sociales, les attentes de nos proches et de nos « moins-proches », ainsi que les stéréotypes façonnent notre perception de nous-mêmes et de notre rôle professionnel dans la société. Finalement, il ne faut pas non plus oublier que les institutions prennent une part active dans la façon dont nous nous identifions professionnellement : le système scolaire ( tu es un élève brillant, tu dois poursuivre tes études ), le système de la santé ( tu es/tu n’es pas un professionnel de la santé ), le système législatif ( la définition du bien-être animal ). Bref, l’identité professionnelle a au moins trois parents ( nous, notre entourage et les institutions ). Elle est à la fois individuelle et sociale. Dans le fond, si la société contribue à la création de l’identité professionnelle, est-il si surprenant qu’elle ait également un rôle à jouer dans sa remise en question ?
L’identité professionnelle a deux gardiens
Il ne suffit pas qu’un individu affirme porter une quelconque identité professionnelle. La société doit également reconnaître cette identité professionnelle pour qu’elle soit légitime. À la base, vous êtes technicienne en santé animale ou médecin vétérinaire parce que la clientèle vous reconnaît comme tel.
Auparavant, l’identité professionnelle d’une personne offrant les soins aux animaux reposait sur les diplômes décernés par le système scolaire. Par exemple, « Je te reconnais comme technicienne en santé animale parce que le système scolaire te reconnaît comme tel », affirme la société. Puis il est devenu nécessaire de renforcer la légitimité des professions. C’est ainsi que, par exemple, la médecine vétérinaire s’est professionnalisée. « Je te reconnais comme médecin vétérinaire parce que ton ordre professionnel te reconnaît comme tel », affirme de nouveau la société. Les ordres professionnels ont donné une légitimité à plusieurs disciplines, dont la médecine vétérinaire. La société vous reconnaît comme médecin vétérinaire, alors vous êtes bel et bien médecin vétérinaire.
La professionnalisation a également transformé l’identité professionnelle de la médecine vétérinaire en une transaction entre la profession et la société. C’est que la société a des attentes envers ses professionnels. En respectant les attentes et les besoins de la société ( la clientèle ) en matière de compétences, d’éthique et de comportement, la profession de médecin vétérinaire reçoit en retour certains privilèges, tels la confiance, le statut social, l’autonomie et une certaine aura de prestige. Cependant, ce processus de transaction est en équilibre fragile. Alors qu’arrive-t-il si les règles du jeu changent ? Par exemple, qu’arrive-t-il si notre société ( la clientèle ) modifie[2] ses attentes et ses besoins ou si les privilèges ( confiance, statut social, prestige ) ne sont plus offerts systématiquement ? « Il y a mer*age[3], voilà ce qu’il y a », me répondez-vous.
L’identité professionnelle mûrit et ses parents s’arrachent les cheveux
La redéfinition de l’équilibre attentes et privilèges peut être douloureux. Sommes-nous actuellement en période de transition ? Les professionnels sont confrontés à des choix difficiles. Premièrement, ils peuvent chercher à résister au changement et tenter de maintenir l’ancien équilibre. Cela revient à tenter d’imposer à la société ( la clientèle ) de retourner à ses attentes et à ses besoins d’avant. Il est possible que les résultats obtenus ( confrontation et incompréhension de part et d’autre, par exemple ) ne soient pas ceux que l’on espérait. Deuxièmement, les professionnels peuvent accepter de répondre à l’ensemble des besoins et des nouvelles attentes de la société, par crainte de voir s’échapper certains de leurs privilèges. Cependant, nous pourrions nous demander si les choix motivés par la crainte seront satisfaisants à long terme. Troisièmement, les professionnels peuvent redéfinir leur identité professionnelle de manière à mieux répondre non seulement aux besoins actuels de la société, mais également à ses propres besoins. Cette dernière option est délicate, car elle demande de mettre au jour ces privilèges dont jouit la profession. C’est une démarche aux résultats incertains, aussi, car qui sait à quoi ressembleront l’identité professionnelle et les privilèges qui y sont associés une fois cette démarche terminée? En contrepartie, elle offre l’occasion pour une réflexion collective et une réinvention constructive de l’identité du médecin vétérinaire. Autrement dit, cette option est inconfortable, car les résultats obtenus sont incertains, mais elle ouvre la porte à de nouvelles possibilités.
Si nous redéfinissions la profession de médecin vétérinaire de façon à répondre du mieux possible aux besoins des professionnels et à ceux de leur clientèle, qu’est-ce qui deviendrait alors possible ? À quoi cela ressemblerait-il » ? Libérons notre imagination. Avez-vous des exemples ?
[1] C’est la même chose en ce qui concerne l’identité personnelle, soit dit en passant.
[2] Par exemple, si les attentes et les besoins de la clientèle passent de «vous possédez le savoir, soignez mon animal» à «Je possède également le savoir et j’exige de participer aux décisions concernant mon bébé-chéri-membre-de-la-famille.»
[3] À l’origine, il m’était venu à l’esprit l’expression anglophone when shit hits the fan, une expression très colorée et imagée, définitivement plus mordante que mer*dage…
Vous portez un éléphant ? Devenez plutôt son cornac. Le fardeau que nous portons peut parfois nous sembler aussi gros qu’un éléphant. Il pèse lourd sur vos épaules, il s’accroche dans les cadres de porte et il reste coincé dans votre valise d’auto. Au lieu de le porter, pourquoi ne pas le guider? Apprenez à diriger votre éléphant. Devenez pour lui un cornac compréhensif, attentif et patient.
Scholz, E. et Trede, F. (2023). Veterinary professional identity : Conceptual analysis and location in a practice theory framework. Frontiers in Veterinary Science. 10, 1-11. https://doi.org/10.3389/fvets.2023.1041475