Attention : surdose
Avertissement : le mot résilience sera mentionné 25 fois dans cet article. En partie par ironie et en partie pour me faire comprendre. Mais surtout par ironie. Résilience. Voilà.
La résilience, c’est notre légume-trop-cuit-qui reste-dans-le fond-de-l’assiette. C’est ( attention, prenez une inspiration ) le ménage-du-dimanche-matin-parce-que-le-tapis-n’a-plus-la-même-couleur-tellement-il-y-a-du-poil-dessus-et-que-tu-trouves-des-poils-dans-tout-ce-que-tu-manges-depuis-deux-semaines ( j’ai deux Golden Retrievers ). C’est le p’tit-jogging-autour-du-bloc que tu t’étais promis de commencer… en janvier 2012. Je sais que c’est bon pour moi, mais je ne veux plus en entendre parler. En avez-vous marre d’entendre parler de résilience ? Moi, si. Parfois. Souvent. Du point de vue du travail social vétérinaire, je comprends son importance. C’est un aspect central de mon travail auprès de vous et de vos équipes de travail. D’un point de vue vétérinaire, j’en ai un ti-peu ras-le-bol. Et jusqu’à tout récemment, je ne pouvais en trouver la raison exacte1.
Notre surdose collective
Nous souffrons d’une surdose du mot résilience. Et je crois avoir mis le doigt sur les raisons de ceci. Voici cinq raisons qui expliquent les raisons pour lesquelles le mot résilience goûte le café réchauffé aux micro-ondes2.
1. Ce mot est surutilisé
Résilience. Résilience. Ré.si.li.en.ce. Depuis la pandémie, la résilience est devenue un terme si banal qu’il en a perdu de sa signification. Il est devenu cliché. Et un mot qui n’a plus de signification ne sert plus.
2. Ce mot nie la complexité de nos défis
Dans les situations où les défis sont particulièrement complexes ou durables, le concept de résilience peut nous paraître un peu trop simpliste, peut-être. « Quoi, tu te sens épuisée ? Ce n’est qu’une question de résilience, voyons. » Si vous sentez que le terme ne rend pas justice à la complexité de vos difficultés, je vous comprends.
3. Ce mot ajoute à notre fatigue émotionnelle
Parler de résilience (la nôtre, la vôtre, la leur) entraîne chez nous un sentiment de lassitude, surtout si nous avons l’impression que c’est une attente de notre milieu : je dois être résiliente. Tu dois être résiliente. Elle doit être résiliente. C’est un véritable fardeau. Nous ressentons peut-être déjà une fatigue émotionnelle et le rappel constant du mot résilience peut être perçu comme une charge émotionnelle supplémentaire.
4. Ce mot nous sur-responsabilise
Parfois, certains messages faisant la promotion de la résilience dans le domaine vétérinaire donnent l’impression que la responsabilité de surmonter les difficultés personnelles et professionnelles repose entièrement sur nos épaules ( notre sur-responsabilisation ). N’oublions pas qu’en plus de notre petite personne, les facteurs systémiques ( ex. : la culture, les lois, les politiques du système de la santé ) et les facteurs sociaux ( ex. : notre éducation, nos relations sociales ) entrent également en jeux dans la détermination de notre niveau de résilience.
5. Ce mot mal défini
Un résultat à atteindre. La littérature scientifique la définit d’abord comme un résultat à atteindre. Les personnes qui comprennent ainsi la résilience vont parler de réussite ou d’échec : « Pendant la pandémie, j’ai été capable de m’adapter » ( réussite ) ou « je n’ai pas été capable de m’adapter parce que j’ai disjoncté » ( échec ). Avoir l’impression de vivre un échec peut être décourageant.
Une caractéristique personnelle. La résilience peut être également définie comme étant une caractéristique personnelle. Certains d’entre nous possèderaient les traits personnels qui permettent leur résilience, alors que d’autres ne les possèderaient pas. Cependant, ceci sous-entend que notre capacité de résilience est fixe, sans aucune possibilité d’y travailler. Ouin, pas très encourageant. Les personnes qui comprennent ainsi la résilience catégorisent les individus ainsi : les « forts » et les « faibles ». Se sentir stigmatisé comme étant un être « faible » ne fait vraiment rien pour notre moral non plus.
Un processus. Finalement, la littérature scientifique définit la résilience comme étant un processus. C’est la définition que je préfère et je la retiens parce qu’elle a du sens pour moi. Peut-être aura-t-elle du sens pour vous ? Premièrement, la résilience se situerait sur un spectre, ce qui déloge l’idée que certains sont capables de résilience, alors que d’autres non. Exit la charge émotionnelle supplémentaire et le sentiment d’échec. Deuxièmement, notre résilience ne reposerait pas sur nos manques, mais sur l’interaction entre nos avoirs ( notre personnalité, nos besoins, nos valeurs, notre âge, notre famille, notre milieu professionnel et scolaire, etc. ). La résilience est une responsabilité partagée. Exit la sur-responsabilisation.
Oui et maintenant ?
Maintenant ? Nous en sommes à la conclusion de cet article. La résilience est devenue un cliché irritant, en partie parce qu’elle nous semblait peut-être imposée et en partie parce que nous l’avions mal défini. Les manifestations de résilience sont propres à chacun ; inutile de comparer, mesurer ou peser. Impossible, également, de se faire imposer la résilience. Finalement, la résilience ne se construit pas à partir de nos manques, mais à partir de nos avoirs : nos forces, nos qualités, nos connaissances, etc. Et nous possédons des tonnes d’atouts positifs dans notre jeu. D’ailleurs, sans même vous avoir rencontré, je peux déjà en détecter chez vous.
Si le mot résilience vous irrite et que vous vous en étiez rendu compte avant de lire cet article, je fais les louanges de votre capacité d’introspection. Si vous venez tout juste de vous rendre compte que ce mot vous irrite, je vous félicite de votre perspicacité. Si vous n’avez toujours aucune idée du sujet de cet article, mais que vous l’avez lu jusqu’au bout, je vous dis bravo pour votre persévérance. Finalement, si vous vous êtes rendu compte que ce texte mentionne le mot résilience 31 fois (et non 25 tel que mentionné plus haut), alors je vous fais un high-five pour votre minutie.